samedi 8 septembre 2012

Transformer la coopération : l'invention de la CAO



Nous devons critiquer cette notion de "raison" mobilisée par la définition de la compétence classique. En effet, tous les "bons auteurs" décrivent cette "raison" comme abstraite, et donc invisible. De là, cela devient impossible de représenter les différents types de compétence, et donc de les gérer.

Or c'est dans l'opération d'adaptation, de combinaison, structuration, que s'opère l'ajout de valeur. Il importe de rendre visible cette opération qui se traduira par un ajout de valeur.

Creusons cette opération qui consiste à "adapter", "combiner", "structurer" différents ingrédients. Avant tout, il faut adopter un nouvel angle de vue : les ingrédients de l'action sont normalisés à partir d'une optimisation économique. Tout savoir, toute technologie, toute procédure sont mis en œuvre de façon à utiliser le minimum de ressources.

La minimisation des ressources utilisées s'obtient par la stabilisation d'un savoir, d'une technologie, d'une procédure comme "atome" au sein d'une "molécule synthétique" qui donne l'efficacité maximum.

Considérons la Conception Assistée par Ordinateur. L'innovation ne réside pas seulement dans la manipulation mathématique des esquisses du concepteur, mais s'étend à une nouvelle organisation du travail nécessitant la présence de l'ordinateur dans l'atelier.

Voilà comment Pierre BEZIER, ingénieur à Renault, décrit la démarche qui l'a amené à inventer la C.A.O. :
"L'idée de départ repose sur l'exemple suivant : prenez un cadre sur lequel vous tendez des ficelles parallèles et équidistantes. Sur chacune d'elles, vous placez une perle de façon à définir un quart de cercle. Si vous déformez le cadre, les perles vont définir un quart d'ellipse. Les cotés du cadre sont extensibles et vous pouvez avoir des ellipses petites ou grandes. Les coordonnées des trois angles du cadre sont suffisantes pour tracer l'arc d'ellipse".


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Les esquisses d'objets deviennent maniables lorsqu'elles sont placées dans un espace dont le référentiel est transformable. Du coté du Bureau d'études, le trait dessiné est traduit en un arc d'ellipse ayant les coordonnées de trois angles. Ces coordonnées peuvent alors se numériser : les nombres, via une transformation linéaire déduisant un référentiel oblique d'un référentiel orthonormé, représentent des polygones à n cotés développant la trace dessinée sur l'écran de l'ordinateur. Ces nombres sont ensuite introduits dans la machine à commande numérique située dans l'atelier.

Pierre BEZIER peut alors rédiger un cahier des charges où est réarticulée la division antérieure du travail dans l'entreprise selon deux points fondamentaux :

1. Pour dessiner puis faire réaliser immédiatement la pièce par la machine et à recommencer si quelque chose ne va pas, il faut mettre l'ordinateur à coté de la machine à dessiner, et les deux à coté d'une fraiseuse qui peut donner très rapidement, taillé dans un bloc de polystyrène, une forme que l'on puisse apprécier et toucher.

2. Il faut installer une méthode de travail qui reste utilisable par les différents acteurs lors de toutes les étapes successives jusqu'à la fabrication : instinctive pour des techniciens auxquels il était exclu de demander à apprendre les mathématiques et rigoureuse pour le styliste qui fait l'aller-retour entre la forme dessinée et le volume de polystyrène.

Chez CITROEN, une recherche analogue à celle de Pierre BEZIER était menée par un mathématicien Paul de CASTELJAU. A celui-ci, on lui avait dit : "Vous commencez ici, à la sortie du bureau d'études; vous arrêtez là à la sortie de l'atelier. Et n'allez pas y voir plus loin". A CITROEN, la règle voulait que les problèmes soient strictement cloisonnés.

En tant que mathématicien, Paul de CASTELJAU devait trouver une définition numérique d'une courbe, une fois que celle-ci avait été tracée par le bureau d'études, afin de pouvoir la transmettre à l'atelier.

Pierre BEZIER commente les positions respectives des deux hommes en ces termes :

"Paul de CASTELJAU était tenu dans un cadre très serré alors que moi, finalement, on me considérait à la Régie comme un abruti complet. Et on me laissait à peu près libre de mes actes ("tant qu'il ne mord pas les gens")... Ma chance a été d'être libre de réfléchir à tout un ensemble, avec peut-être aussi cette différence que j'avais exercé beaucoup de métiers comme "gadz'arts" (ingénieur des Arts et Métiers). Cela m'avait permis d'acquérir sur la question une vue synthétique. Dès cette époque, j'étais persuadé que ces techniques allaient revêtir une grande importance, non seulement dans la C.A.O., mais aussi dans des domaines comme l'industrie du vêtement ou la création de mobilier".
Dans ce récit, on voit apparaître comment CITROEN, plutôt que d'aller à la rencontre de la spécificité du geste du dessinateur, demande un surcroît de raffinement mathématique qui permettrait de d'installer une standardisation fine de ce geste. Or dans la démarche de Pierre BEZIER le surcroît de standardisation et donc de numérisation est évitée car qualifiée comme dépendante d'une organisation d'entreprise datée. La C.A.O. ne devient possible qu'en fondant une nouvelle organisation du travail.

L'invention en 1968 de la CAO est également racontée ici : http://rocbo.lautre.net/bezier/pb-indus.htm

La théorie, subtile, des Courbes de Béziers se trouve à la page http://fr.wikipedia.org/wiki/Courbe_de_Bezier.
Sur Pierre Bézier : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bézier.


Sur l'histoire de la CAO : http://fr.wikipedia.org/wiki/Conception_assistée_par_ordinateur

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