mercredi 28 août 2013

Prospective des futurs emplois

Chômage : ceux qui ont été détruits, ceux qui n'ont pas encore été inventés... quels sont les emplois qui manquent à l'appel ?

Publié le 27 août 2013 sur 

http://www.atlantico.fr/decryptage/chomage-ceux-qui-ont-ete-detruits-ceux-qui-ont-pas-encore-ete-inventes%E2%80%A6-quels-sont-emplois-qui-manquent-appel-jean-pierre-cornio-825531.html#RCzksrs3E85SJs3t.99 


Gilles Saint-Paul : Il est difficile de prévoir les emplois nouveaux : par exemple dans nombre de pays le gaz de schiste s’avère un secteur d’avenir mais il était difficile de le savoir il y a dix ans, parce qu’il aurait fallu connaître à l’avance aussi bien l’évolution de la technologie que celle du prix du pétrole. Cependant, une bonne partie des emplois futurs seront sans conteste liés au vieillissement de la population : santé, industrie pharmaceutique, services aux personnes âgées, loisirs « adaptés », etc. Et il ne faut pas non plus oublier qu’une bonne partie de l’emploi est orientée par les politiques publiques. 

La manne de la formation professionnelle, ou les subventions aux technologies « vertes », ou encore au « spectacle vivant », créent de façon un peu artificielle des gisements d’emplois dont la rentabilité reste dépendante de l’existence même de ces politiques. En particulier, ces emplois peuvent disparaître lorsque ces politiques sont remises en question au nom de la rigueur budgétaire.  

Robin Rivaton : Le processus d'innovation et de croissance économique se résume dans la destruction création énoncé par l'économiste autrichien J. Schumpeter. Le progrès parce qu'il conduit à quelque chose de nouveau bouleverse les équilibres sociaux antérieurs et donc amène parfois brusquement à la disparition de métiers tout en générant de nouveaux besoins et donc de nouveaux métiers. L'automatisation de la production fonctionnant par vagues, ce phénomène avait frappé les consciences à la fin du XIXème siècle, puis lors de l'introduction de la machine-outil et reprend de la vigueur avec les progrès réalisés en robotique aujourd'hui. 

Élaborer la carte des métiers d'avenir est très simple. Il suffit de regarder ceux qui ne peuvent être pourvus alors que les entreprises embauchent : ils se situent dans la manipulation des matériaux composites, dans la maintenance des installations robotiques, dans l'isolation des bâtiments avec la profession d'itéiste. J'y ajouterai des nouveaux métiers dans l'analyse génétique et la maintenance cellulaire, médecins et surtout techniciens, ou le secteur de l'informatique, ceux connus comme programmeurs ou ceux encore inconnus de data-miner et data-designer qui auront à charge de chercher et représenter l'information sous des formes compréhensibles. 

A l'inverse, j'ai une certitude sur un métier qui n'existera plus, au moins dans sa forme actuelle, c'est celui d'enseignant. L'école sous la pression de nouveaux modes de transmission du savoir est menacée. Elle est le système social appelé à être le plus bouleversé dans les années à venir et la reconversion sera lourde pour des personnels pas assez formés à cette révolution en gestation.  Emplois aidés, emplois d'avenir... Les sommes versées par l'Etat dans divers dispositifs pour contenir l'envolée du chômage à court terme nuisent-elles à l'investissement permettant de créer des emplois sur le long terme ? 

Gilles Saint-Paul : La vraie question n’est pas l’effet total de ces politiques sur l’emploi proprement dit, mais plutôt sur la performance de l’économie française. Ces emplois aidés sont peu productifs ; le fait de les créer et de les financer par la fiscalité revient à contraindre indirectement la population à acheter ces services qu’elle valorise peu, ce qui est une source d’appauvrissement. Et par ailleurs, les bénéficiaires de ces emplois ne sont plus disponibles pour la recherche d’emploi ce qui augmente les difficultés de recrutement pour pourvoir des postes plus productifs que ceux correspondant aux emplois aidés. 

Il est probable que ces politiques aient un effet positif sur le chômage à court terme et un effet pratiquement nul à plus long terme, mais ce qui compte pour le niveau de vie ce n’est pas seulement le nombre d’emplois mais la contribution productive de ces emplois. Payer des gens à creuser des trous dans le sol pour les reboucher ensuite augmente peut-être l’emploi mais ce n’est pas pour autant une bonne idée. 

Robin Rivaton : Les sommes dépensées via ce dispositif servent surtout à occuper et ne pas laisser trop longtemps éloignés du marché de l'emploi des populations déjà fragiles, ce qui en soit n'est pas totalement inepte. Néanmoins, cette entrée sur le monde du travail via des dispositifs aussi particuliers ne facilite pas forcément l'insertion quand il s'agit de trouver un véritable emploi. De plus, cela constitue pour l'Etat la reconnaissance de son incapacité à assurer une formation initiale de qualité suffisante. Celle-ci laisse en effet chaque année sortir près de 150.000 jeunes sans qualification autre que le brevet et qui n'ont d'autre solution que d'occuper de tels emplois aidés. Enfin, en ce sens que ces dépenses se retrouvent dans l'imposition des entreprises, elles nuisent forcément à l'investissement et donc à la création d'emplois pérennes d'avenir. 

Jean-Pierre Corniou : En théorie, tout ce qui freine la transformation vers des formes plus efficaces d’organisation ne conduit qu’à pérenniser les difficultés antérieures : faible productivité, compétences insuffisantes, médiocre attractivité des produits et services. Aussi, il ne faudrait pas subventionner les industries et activités déclinantes ou inefficaces pour libérer les capitaux et les compétences et les affecter à des secteurs créateurs de richesse. 

Pour les responsables politiques, même les plus libéraux comme le sauvetage de l’industrie automobile l’a démontré aux Etats-Unis, ne rien faire est un aveu d’impuissance lourdement sanctionné par les électeurs. Ils se doivent donc de tenter d’agir avec une palette de moyens ultra-connus qui vont de l’incantation verbale, la moins coûteuse, aux menaces contre les chefs d’entreprise, les plus inutiles, et se traduisent finalement par un (maigre) bouquet d’incitations fiscales et de mesures morales de soutien. Mais les Etats responsables se gardent bien de soutenir des activités qu’ils savent condamnées. La Banque publique d’investissement a pour objectif de « servir l’avenir », pas de défendre le passé. En effet, il incombe aux entreprises de faire en permanence ce travail d’adaptation interne, entre leurs lignes de produits et activités de production en ajustant leurs investissements et leurs organisations. 

C’est un travail méticuleux de long terme qui ne supporte pas l’incantation et l’improvisation. L’action de l’Etat s’inscrit dans l’accompagnement de cette mutation permanente pour accélérer et le cas échéant corriger les initiatives privées défaillantes. Il n’est donc pas inutile d’aider les entreprises à mieux investir et les salariés à évoluer en se formant mieux  et à se mettre en mouvement vers des activités plus porteuses d’avenir. Les contrats aidés répondent à cet objectif louable s’ils sont bien organisés avec des entreprises du secteur marchand et permettent d’accompagner de façon rigoureuse le salarié en mutation. 

Mais l’Etat n’est pas nécessairement bon juge en termes de stratégie technique et d’allocation optimale des ressources. Il n’est pas non plus bon gestionnaire des dispositifs d’aide qui coûtent chaque année environ 50 milliards d'euros !  C’est surtout sur ce plan que les critiques sont nombreuses. La Cour des Comptes ne cesse de dénoncer la multiplicité des systèmes d’aide et leur inefficacité. Elle plaide pour un ciblage très rigoureux des aides publiques, mais aussi des fonds consacrés à la formation, sur les populations les plus fragilisées. 

Aussi, il paraît pour l’Etat plus judicieux sur le long terme de se limiter à une action macroéconomique pour laquelle l’outil fiscal reste le mieux adapté dès lors qu’il est stable et ciblé. Le crédit impôt-recherche figure ainsi parmi les instruments bien notés. 



Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012). 

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I. Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009. 

Robin Rivaton est consultant en stratégie dans un cabinet américain. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.