lundi 19 novembre 2012

Livret de compétences : analyse critique


Repris de http://www.liberation.fr/societe/2012/10/30/des-criteres-d-evaluation-mis-au-piquet-par-quatre-profs_857176
SOCIÉTÉ

Des critères d’évaluation mis au piquet par quatre profs

INTERVIEW «Côtés hilarants», «objectif idiot»… les critiques pleuvent contre le livret.
Par CATHERINE MALLAVAL
Pour Libération, quatre profs ont accepté de revenir sur le fameux livret personnel de compétences. Et la foultitude d’items (97 en tout) qu’ils ont dû valider pour leurs élèves de 3e. Même élagué, ce livret a-t-il un sens ?
 
 Sur le banc, Nicolas Morvan (photo DR), 34 ans, prof de lettres en ZEP dans l’Essonne, qui dénonce «un outil bureaucratique, inspiré de recommandations européennes et de l’OCDE, qui véhicule l’idée d"élèves employables" avec des compétences qui tourne le dos à à une vision humaniste du savoir» ; Mara Goyet (photo A.Fevrier. Flammarion), 39 ans, prof d’histoire-géo dans un collège parisien (1), qui se demande si «le livret qui a des côtés hilarants n’a pas été écrit sur le capot d’une bagnole par des mecs bourrés avec un stylo qui ne marchait pas».
A leurs côtés, Dominique Parvillé (photo DR), 32 ans, prof d’EPS dans l’Essonne, estime, lui, qu’un «socle commun, ça veut dire un minimum. Alors qu’il s’agit de faire progresser les élèves. Et puis je n’aime pas ce mode d’évaluation binaire "acquis" ou "pas acquis"».
Enfin, François Ledoux (photo DR), 42 ans, prof de maths à cheval sur plusieurs postes à Cherbourg, interroge :«Que fait-on quand un élève n’a pas acquis unecompétence ? Ose tourne vers l’institution qui dans un jargon cynique répond : "A vous d’organiser vos cours pour avoir une pédagogie indifférenciée" ? Avec 28 élèves par classe, je n’ai pas le mode d’emploi.» Commentaires sur quelques perles du questionnaire dont ils gardent un souvenir ému. 
 «ADAPTER SON MODE DE LECTURE À LA NATURE DU TEXTE PROPOSÉ ET À L’OBJECTIF POURSUIVI»
«C’est vraiment une compétence très très générale, soupire Nicolas Morvan. Comment l’évaluer ? Cela a-t-il un sens ? Ecrire la suite d’un texte narratif, voilà une compétence déjà plus spécifique. Mais qui elle-même requiert beaucoup de procédures : bien comprendre le texte initial, maîtriser l’orthographe, la narration, les temps, les règles du dialogue… Le gros danger à ne travailler que par compétences : c’est d’oublier les connaissances. Or il faut d’abord commencer par elles.»
«FORMULER CLAIREMENT UN PROPOS SIMPLE»
«J’aime vraiment beaucoup les compétences qui doivent être acquises en français, s’amuse Mara Goyet. Surtout cette idée de devoir mettre une date à côté de chaque acquisition : "Tiens aujourd’hui, Vanessa a formulé clairement un propos simple." Il y a aussi l’item "Participer à un débat, à un échange verbal". Mais ça, les élèves le font toute l’année ! Au fond, tout est mis sur le même plan : "Dégager l’essentiel d’un texte lu" et "savoir nager". Et puis, ça zoome tellement sur des détails que je me demande si ce n’est pas une dissimulation des résultats. A force de pixeliser, l’image est belle.»
«REPRODUIRE UN DOCUMENT SANS ERREUR AVEC UNE PRÉSENTATION ADAPTÉE»
«Vous ne trouvez pas absurde de faire copier un texte ? interroge Nicolas Morvan. Le problème, c’est que dans certains collèges comme les ZEP, on décide de n’insister que là-dessus. Cet objectif est idiot. En outre, le risque est d’avoir une école centrée sur le socle commun, qui ne prépare pas à la poursuite d’études au lycée, général et technologique ou professionnel.»
«MANIFESTER SA CURIOSITÉ POUR L’ACTUALITÉ ET POUR LES ACTIVITÉS CULTURELLES OU ARTISTIQUES»
«Comment mesurer ça ? s’amuse Mara Goyet. Un élève a le droit de se foutre de l’actualité. Ce n’est pas une compétence scolaire. Et comment évaluer la curiosité pour les activités artistiques ? Si un gamin a acheté un Pariscope, on valide ? Dans le même registre, et dans ce grand ensemble dédié à sonder la culture humaniste des collégiens, on trouve l’item : "être sensible aux enjeux esthétiques et humains". C’est sacrément grandiloquent, et je ne vois pas comment donner une note de sensibilité.»
«SAVOIR NAGER»
«Nos programmes d’EPS datent de 1996, explique Dominique Parvillé. On sait tous qu’apprendre aux élèves à nager est un objectif prioritaire. Passons sur les problèmes concrets de telle primaire ou tel collège qui n’a pas de piscine à proximité. Sérieusement, c’est quoi savoir nager ? Le livret n’en donne aucune définition. Est-ce flotter, avancer, être capable de récupérer un objet au fond de la piscine ? Avec mes collègues, on s’est mis d’accord sur : "être capable de faire 50 mètres".»
«NOMBRES ET CALCULS : CONNAÎTRE ET UTILISER LES NOMBRES ENTIERS, DÉCIMAUX ET FRACTIONNAIRES»
«Mais de quoi s’agit-il ? s’interroge François Ledoux. Doivent-ils savoir compter jusqu’à 10 ? Ajouter 3,1 et 3,2 ? C’est vraiment trop vague. Pas carré. On ne sait pas où placer le curseur. Même souci quand on nous demande s’ils savent reconnaître des situations de proportionnalité. Mais au fond, ce qui m’étonne le plus c’est que ce qui doit être acquis recouvre le programme de maths de 4e, et non pas celui de 3e. Une entreprise de nivellement vers le bas ?»
«MOBILISER À BON ESCIENT SES CAPACITÉS MOTRICES (dans le cadre d’une pratique physique - sportive ou artistique - adaptée à son potentiel)»
«Là, ça se complique, admet Dominique Parvillé. Apporter une réponse motrice signifie-t-il développer sa foulée quand on court, par exemple ? Dans le cadre d’un sport collectif, doit-on considérer que l’équipe perdante d’un match de foot ne peut valider cet item puisqu’elle n’a pas su déjouer son adversaire ?»
(1) «Collège brutal», collection Café Voltaire, Flammarion, 2012.

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